Laurence Clair

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Textes de Jean Paul Gavard Perret


LEMNISCATES

PORTRAIT DE LAURENCE CLAIR

 Laurence Clair tend ses fils minces sur le papier - on peut l’imaginer funambule. On voit l’ombre planer à ses côtés.

 Résistance d’artiste, tentative désespérée du jeter les pavés dans la page. Ou une feuille de cytise. Ou encore un parfum de seringa.

L’ artiste crée pour habiller la vie, l’apprivoiser, l’ouvrir, l’ancrer, lui offrir la table et le couvert. Pour respirer par intime nécessité et pour se rebeller.

Lemniscates : obsédante équidistance du textile au regard. Un pan d’Eden entraperçu dans l’embrasure du ciel. Sous chaque cintre un homme mûr rêve.

 

Jean Paul Gavard-Perret

 
REFAIRE SURFACE

Laurence Clair questionne les départs et plante ses « patrons » comme ses arbres de Judée et afin qu’ils s’envolent avec leurs oiseaux nomades.

Ses « mobiles » sont les maisons provisoires jetées dans la brise, des radeaux lancinants accrochés aux crêtes des appels plombés.

Refaire surface sur la croûte des heures en dépit des orages. Comme lorsqu’elle était petite elle cherche refuge en son for intérieur au milieu des mémoires de mines.

Au couchant, elle s’assied sur le seuil en pierre, accueille la nuit qui monte avec le cri odorant des lavandes et la navette des chauves-souris.

Leur émoi ne lui fait plus peur. Elle va à leur rencontre à la recherche d’un change fabuleux.

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PROPOSITIONS POUR LAURENCE CLAIR

Surgissant, venant de loin un espace de pulsion de sources de lumières : contraste entre les lignes et les plages de couleurs vives. Elles semblent exister comme à l’avant d’elles-mêmes, à partir de leurs coutures qui deviennent leur foyer.

Il y a des unités transitives qui constituent les surfaces : celles des changements de saturation de lumière ?. Tout reste en suspens dans l’espace soumis à des tensions. L’unité est celle d’un flux ordonné par l’énergie d’un noyau que son extension ne dissipe pas.

Les formes sont en suspens mais elles sont extatiques en leurs masses colorées et leurs zébrures. Chaque dessin n’a pas son origine en lui-même, mais dans l’invisible dont il fait son visible. Et c’est également là qu’est son issue.

L’espace implique un rythme. Nous faisons ainsi l’expérience d’une forme de spatialité particulière : ciel et terre qu’importe, le textile se situe ainsi : ciel-terre, conjonction intime de la lumière. Si ciel il y a, il est abîmé dans une flaque des couleurs. Eclaircie déchirante de la réalité. Expérience première et dernière de l’espace.

Il y a chaque fois l’esquisse et la totalité. Souvent les patrons sont divisées en diverses parties. Chacune communique avec les autres. Ce sont des éclats que le vol monte. L’artiste est là : même pieds sur terre, elle est entre ciel et ciel en un cycle où le monde en cet achèvement provisoire révèle son être.

Chaque œuvre ne se « mesure » pas à sa fin mais à son origine, dans l’éclair de l’instant, en l’ouvrant à la lumière. La couleur devient un trouble. Elle doit sa présence à ses pans de papier. Des uns aux autres varient les tensions, les traversées. Tout cela s’articule de manière rythmique. Invention instantanée de l’ocre dans un espace qui n’existerait que par lui.

 
L’acuité des structures se montre dans l’action réciproque entre les pans de couleurs et les lignes. Mais avec Laurence Clair la présence d’une couleur ne se réduit pas à sa propre intensité. Sans doute le rayonnement ou la profondeur émergente d’un ocre nous fascinent et captivent l’imaginaire. Mais tout cela se compose non pas selon l’espace mais selon le temps d’exécution.

Une œuvre de l’artiste n’est donc pas uniquement une unité harmonique : celle-ci émerge à travers des ruptures : temps de l’œuvre dans son ensemble, temps de l’exécution de chacune des pièces comme si la créatrice détruisait chaque pièce par la suivante mais sans abolir la précédente.

De telles oeuvres ne sont donc pas la récollection du souvenir. Et si l’artiste ramène au jour l’enfouis, c’est à son propre jour. Agir ainsi ce n’est pas laisser faire le temps. A chaque prototype elle demande le ciel et la terre. Tout est glissement et remontée en une sorte de « change ».

Des laps violents apparaissent et disparaissent dans le souvenir du geste qui les a dessinés et coupés en un espace où différents degrés de lumière glissent et jouent par effet de dynamiques et de tensions. Il y a ce passage par où le regard du spectateur passe.

D’où sa question : suis-je où je vois où quelque chose passe ? Vois-je où je suis conscient de mon propre passage ? La réponse pourrait être celle là : l’art. Le corps absent. Mais l’être tout entier dans l’art textile.

Voir est alors une activité en devenir parce que l’œuvre elle-même est une activité comparable. Ressaisir sous le frémissement du passage l’avènement d’une rencontre dans le lieu où la genèse de la forme devient indissociable de celle de son espace. L’espace d’une œuvre de Laurence Clair est donc toujours en formation : lieu mouvant, esquisse fuyante mais irrécusable d’une rencontre.

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BLESSURES

La couleur calfeutre l’aube d’un temps disparu
Perdue en ses plages : comme des sceaux chinois

Laurence Clair hésite encore : vers quoi les habits trop colorés
Murmurent l’inanité des choses ?

Le réel possède encore un sens lorsque l’artiste rappelle
Ce que l’être veut détruire.

L’artiste continue.
Simplement elle sait , elle ne dit pas je crois non

Elle sait - sereine - dans des œuvres qui parfois disent
L’homme malade de ses plaies,

La femme si belle de ses vieux griots
sanglants et radieux.

Il lui reste tant de choses à monter : un grand rien
Entre deux lignes : un opéra d’espaces cachés

Entre deux clins d’yeux les couleurs qui s’aiment
Et ne se le disent pas.

C’est ainsi que l’artiste recoud le monde.
Des espaces s’imbriquent avec des temps.

 
Grandes meures silencieuses de la nuit lumière,
Finir les calvaires et caresser les chats.

Savoir que l’art textile
Demeure la blessure la plus rapprochée du soleil.

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HANTISE DE L’AIR

Laurence Clair propose une délocalisation particulière qui résulte de l’application précise puis du retrait d’un « objet patron ». Celle-là restitue en négatif une silhouette (« shape ») fixée rappelant l’humilité de toute empreinte à l’égard de son référent corporel. Mais surgit une autre forme de délocalisation chez elle : elle résulte des « accidents » de l’atmosphère, du lieu et de la matière papier. Ceux-ci créent des variations infra minces dans le « contact » entre les objets et l’espace où ils sont pendus.

 

Ces formes donnent libre cours à l’infinie morphogenèse des souffles de l’air. Surgit de la sorte une image tendue et lâchée dans un maximum de contraintes techniques et une maximum aussi d’aléatoire physique. Entre la contrainte du « patron » et la mobilité de l’air , les œuvres s’enrichissent d’une haleine dont l’artiste elle-même ne peut prévoir de tracé. Appelons ça la hantise de l’air.

 

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